Il y a quelques jours, lors d’une conférence de l’American Physical Society, le physicien Daniel L. Jafferis, de l’université d’Harvard, a présenté des résultats plutôt surprenants : voyager à travers un trou de ver serait théoriquement possible ! Un trou de ver ? Mais siii, vous l’avez vu dans Interstellar, avec le marmottant mais séduisant Matthew McConaughey, rappelez-vous cette scène dans laquelle Matt’ observe un trou de ver, tout intrigué : Le collègue de Matthew lui explique gentiment le principe du trou de ver. Vous voulez atteindre un point très lointain de l’espace ? N’y passez pas la vie, prenez un raccourci ! Dans la vidéo, notre espace-temps est représenté comme une feuille, que l’on pourrait plier pour atteindre plus vite notre destination, via le trou de ver. Comme les trous noirs, les trous de ver ont été imaginés par Albert Einstein (et Nathan Rosen en ce qui concerne les trous de ver). Toutefois, les trous de ver sont (pour l’instant) des objets purement théoriques. A l’inverse, les trous noirs ont été observés, d’abord indirectement, et très récemment directement pris en photo ! Einstein et Rosen avaient imaginé ces trous de ver, aussi appelés ponts d’Einstein-Rosen (en réalité découverts par Ludwig Flamm un peu plus tôt, han l'arnaque !), mais ils n’avaient pas pu trouver un moyen de garder ces ponts ouverts. Il aurait fallu une matière exotique pour les empêcher de se refermer presque instantanément. De plus, ces ponts auraient une taille quantique, du genre très très microscopiques. Pas évident pour faire passer vos fesses, si petites soient-elles (personne n’est gros). Et si on essaie de les agrandir, ils s’autodétruisent ! Bon, c’est mal barré pour les vacances dans la galaxie voisine. Ce qui n’a pas empêché toute la science fiction de se servir de cette idée, fort pratique, je vous l’accorde. Mais ce n'est pas ça qui décourage les physiciens, et certains, comme Kip Thorne ou Stephen Hawking, ont imaginé comment stabiliser de tels objets, avec l’effet Casimir par exemple. Je précise que cela n’a strictement rien à voir avec le type en costume orange qui cuisine du gloubi-boulga pour les enfants (osez cliquer sur la vidéo ci-dessous). Le vide… pas si vide que ça ! Le néerlandais Hendrik Casimir a montré en 1948 que si on rapproche suffisamment deux plaques parallèles, une force semble vouloir les coller l’une à l’autre. La cause probable ? L’énergie… du vide ! En réalité, le vide n’est pas si vide que ça. Dans le vide, des particules apparaissent sans cesse, et s’annihilent aussitôt. Pour mieux se représenter, et puisqu’on en parlait, imaginons que dans le vide, en permanence, des Casimirs de toutes les tailles apparaissent et disparaissent. Par contre, entre nos deux plaques très rapprochées, seuls les petits Casimirs peuvent rentrer. Si nos Casimirs décident de danser tous la salsa en poussant leurs voisins, on se rend compte que les Casimirs de l’extérieur, plus nombreux et plus costauds, vont pousser plus fort que les petits Casimirs entre les plaques. Résultat, les plaques se rapprochent ! Cet effet n’est pas qu’un détail marrant de la physique. Dans certaines théories, il pourrait carrément être à l’origine de l’existence de la gravité, rien que ça. C’est un effet similaire qu’a proposé Daniel L. Jafferis en imaginant connecter deux trous noirs au niveau quantique. Dans ce cas, le trou de ver serait alors traversable. Cela signifie que de la lumière pourrait passer dans le trou de ver et en ressortir, ce qui est normalement impossible dans le cas d’un trou noir ordinaire. Ce serait particulièrement intéressant car cela nous permettrait de savoir ce qu’il se passe à l’intérieur de ces monstres galactiques, censés tout avaler et ne jamais rien rendre ! Pour les vacances par contre, c'est toujours pas gagné, Jafferis précise que "Cela prend plus de temps de traverser ces trous de ver que d'y aller directement, alors ils ne sont pas très utiles au voyage spatial."... Même si de l’extérieur, tout cela peut avoir l’air farfelu (si, si, vous pouvez le dire hein), chercher un moyen de construire un trou de ver dans lequel la lumière puisse passer a déjà fait bien progresser la recherche sur une possible théorie de gravité quantique. Cette théorie (un peu le Graal des physiciens) permettrait de réconcilier la physique imaginée par Einstein, qui décrit l’infiniment grand, notre Univers, et la physique quantique décrivant l’infiniment petit, ces deux théories étant fondamentalement incompatibles, c'est ballot. Pour aller plus loin
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Rien à voir avec les étoiles, mais tout à voir avec la science et la façon d'en parler au grand public. Si vous ne l'avez pas encore lu, il est toujours temps. Le livre de l'étudiante en médecine maintenant gastroentérologue Giulia Enders est vraiment génial. Vous saurez tout sur votre estomac, votre intestin et sur toutes les petites bactéries qui y habitent, le tout avec beaucoup d'humour et de légèreté.
Elle a une petite description de l'aspect quotidien de la recherche que j'aime beaucoup : Faire de la recherche, c'est un peu comme traverser par temps de brouillard une région qu'on ne connaît pas. Il n'y a pas beaucoup de gens qui adoreraient faire ça tous les jours, et surtout, qui auraient assez d'enthousiasme à long terme pour photographier consciencieusement chaque buisson et chaque façade se détachant de la purée de pois alentour. Il peut aussi arriver qu'on suive patiemment un long fil de laine jusqu'à constater finalement qu'on est en train de détricoter son propre pull-over. Après ça, rentrer chez soi et raconter en toute honnêteté les résultats du jour, c'est juste... moyennement cool. Ce que vous voyez là est la première image d'un trou noir ! Les scientifiques du projet Event Horizon Telescope viennent de présenter au monde cette photo lors de 6 conférences de presse simultanées à travers le monde, il y a quelques heures !
Attends un peu, what ? Reprenons depuis le début. Le trou noir galactique ou la roi vorace de la galaxie Un trou noir, c'est un objet avec une masse incroyablement grande, concentrée dans un tout petit espace. Il exerce une force de gravité très importante sur son entourage, au point que même la lumière ne peut lui échapper. Les trous noirs sont d'ordinaire la dernière étape de la vie des étoiles massives, c'est-à-dire de plus de 8 fois la masse du Soleil. Mais il existe également des trous noirs monstrueux tapis au centre des galaxies. On ignore encore comment ils se forment exactement. Notre galaxie, la Voie Lactée, en contient un. C'est aussi le cas de la galaxie M87, qui a été observée ici, à 53 millions d'années-lumière de nous. Les trous noirs ont été prédits par Einstein il y a plus de 100 ans (au départ, il n'y croyait pas lui-même, tellement ça lui semblait jeté) et des décennies sont passées avant que l'on commence à avoir des preuves de leur existence. Une observation sacrément délicate Si cette image est une grande avancée, c'est que jusqu'ici, nous n'avions que des preuves indirectes de leur existence. Les trous noirs galactiques sont par définition noirs puisqu'ils absorbent la lumière environnante. Comment les observer alors ? Jusque là, on a pu observer par exemple le mouvement très rapide des étoiles tournant autour ou encore la déformation de la lumière passant près des trous noirs. Pour ne rien arranger, le centre d'une galaxie, c'est du genre encombré d'étoiles, de gaz, de poussière, qui rendent compliquées les observations. Un télescope de la taille de la Terre Comment faire alors pour avoir un télescope suffisamment puissant pour observer un trou noir ? Première chose, choisir la bonne lumière. Si l'on regarde la lumière visible, celle que nos yeux perçoivent, les trous noirs sont obscurcis par le gaz et la poussière. Par contre, la lumière du domaine radio est capable de traverser ces nuages de poussière comme si de rien n'était. Ensuite, l'astuce du projet Event Horizon a été la combinaison de nombreux télescopes, situés à différents endroits dans le monde. En combinant les images simultanées prises par tous ces télescopes, cela revient à observer avec un télescope de la taille de la Terre ! Résultat : une image ultra détaillée, comme jamais auparavant. Résultat : une image de ouf ! Et voilà le résultat. Ce que l'on voit sur cette image, c'est d'abord un halo de lumière. Frédéric Gueth de l'Institut de Radioastronomie Millimétrique qui gère l'un des télescopes, nous explique qu'il s'agit de la lumière émise par la matière déchiquetée par le trou noir. La zone sombre au milieu, c'est l'ombre de ce qu'on appelle l'horizon des événements. Cet horizon correspond à la limite de non-retour. Si vous franchissez cette limite, vous pouvez avoir tous les vaisseaux de Star Wars que vous voulez, jamais vous n'en sortirez. Le trou noir en lui-même, avec une masse d'à peu près 6,5 milliards de fois la masse du solaire, se cache à l'intérieur de cet horizon. Ce résultat confirme les modèles imaginés par les astronomes pour les trous noirs en rotation. Mais comme toujours en science, quand on trouve une réponse, cela ouvre un grand paquet de nouvelles questions. C'est le début d'une nouvelle ère pour l'étude détaillée de ces monstres de l'univers ! Pour en savoir plus > La dépêche AFP > Mon dossier sur les trous noirs |
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Sarah Fechtenbaum Docteure en astrophysique et médiatrice en sciences Catégories
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Janvier 2024
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